Catherine de Sienne : une vision anthropologique pour notre époque #3

Continuons le voyage à la découverte de la pensée de Sainte Catherine de Sienne, sous la direction experte de sœur Elena Ascoli, de la communauté « Madonna del Sorriso » de Ganghereto (Italie). Nous voici au troisième épisode. Bonne lecture !

TROISIEME PARTIE

Le psaume 8 chante : « Qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui ? »
Face à cette grande question du psalmiste, l’homme prend peur et refuse de voir la réalité de ce qu’il est. « Le pire ennemi de l’homme est l’homme » (Cicéron).

Je souligne donc qu’il est urgent que l’homme retrouve le plein sens de sa propre dignité afin de vivre sur le chemin qui seul mène à la vraie béatitude.

Il est maintenant clair que nous sommes agités tant que nous nous sentons orphelins, sans patrie, sans but. Si, au contraire, mon origine est révélée, d’un point de vue anthropologique — dans le sens déjà mentionné dans la deuxième partie de cette réflexion — ma fin et mon but sont également révélés et même l’agitation peut devenir un chemin d’espoir, même si on est enfermé dans une pièce.

Voici un autre exemple de pensée qui désoriente l’homme aujourd’hui :
« Sans miroir, je me sens mal à l’aise. Je ne sais pas si cela a le même effet sur vous : un miroir, un verre, un... Que... Puisque cela me rend solitaire, apportez-moi » (Sartre, Huit clos).
Dans cette affirmation sartrienne, il y a tout le drame de l’homme contemporain : L’homme a-t-il oublié la dimension de l’invisible, la dimension métaphysique de l’être ? Et il doit se contempler, se voir comme certain d’exister. Mais quand l’homme oublie d’être, quand l’homme est en exil de l’être, il se retrouve prisonnier de l’existence.

Mais comment cet homme s’est-il identifié au passage du temps ? Parce que si on enlève la dimension de l’être, on retrouve une dimension de l’homme dans laquelle nous sommes des êtres actifs, sans intériorité : l’homme technologique n’est pas serein.

Pourquoi ? Parce qu’il est toujours projeté vers l’extérieur au point de devenir un étranger pour lui-même et pour les autres. Il n’a plus de miroir : ni dans l’Être transcendant ni dans les créatures. Le “signe” qui l’entoure ne lui parle plus. L’histoire devient une pièce sans fenêtres, inexorablement fermée.
Ainsi l’homme qui a renoncé à sa propre intériorité !

Et voici la réponse que Catherine de Sienne suggère. Une réponse que l’on retrouve encore et toujours dans son enseignement dans les lettres et dans le Dialogue.

Lettre 271 (263), à Etienne Maconi
« Moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir un miroir de vertus, afin que par l’exemple de ta vie, l’enseignement de ta parole, par tes humbles et continuelles prières, tu deviennes un instrument pour tirer les âmes des mains du démon et les amener à la vertu, au Christ, le doux Jésus, comme Dieu nous le demande. […] Oh ! combien est douce et utile la vertu qu’on acquiert par le moyen de la prière faite dans la cellule de la connaissance de soi-même ! Nous trouvons dans cette connaissance, le feu de la divine charité, en voyant notre misère, notre ignorance, notre ingratitude. Nous y trouverons la source de l’humilité par la connaissance que nous aurons de nous-mêmes dans l’infinie bonté de Dieu ; et par l’épreuve et la foi, nous nourrirons notre cœur du feu de la charité. […] Et je ne m’étonne pas si par la connaissance que l’âme a d’elle-même, elle arrive â l’amour parfait et à la vertu ; car en aucun lieu nous ne trouvons l’amour de Dieu comme en nous-mêmes, puisque toutes les choses créées, Dieu les a faites pour la créature raisonnable, et cette créature raisonnable, il l’a créée pour lui-même, pour qu’elle l’aime, le serve de tout son cœur, de toutes ses forces. Aussi l’âme qui se voit tant aimée ne peut se défendre d’aimer, car c’est une loi de l’amour. »

Mais avant d’approfondir la pensée de notre Docteur, je crois qu’il est utile de mentionner quelques penseurs contemporains qui ont redécouvert la voie d’une anthropologie riche en espoir. Je les mentionne parce que tant de points de leurs réflexions s’accumulent dans la pensée de Ste Catherine.

Je cite Victor Frankl, psychiatre et philosophe autrichien né en 1905 et mort en 1997, qui dans son livre Homo patiens, a écrit qu’il n’est pas si important de supprimer et de nier la souffrance que de lui donner un sens. Pour lui, cela signifie qu’il est essentiel de savoir pour quoi ou pour qui de la vie. Le but de la vie est la dynamique fondamentale qui consiste à faire quelque chose de difficile. Frankl accorde une grande importance à l’esprit et au corps d’une personne. Il continuera à croire que la création de cette unité est la clé de la logothérapie. Je ne peux pas creuser la pensée de Frankl, qui a vécu la “démolition” de sa personne pendant les longues années passées dans quatre camps de concentration nazis. Mais sa pensée correspond certainement à un besoin urgent pour notre société sans âge et sans culture.

La question fondamentale que Frankl répète est la suivante : pour qui vivons-nous ?
« L’être humain n’a pas l’obligation de définir le sens de la vie dans des termes universels. Chacun de nous le fera à sa manière, en partant de nous-même, de notre potentiel et de nos expériences, en nous découvrant dans notre quotidien. En fait, le sens de la vie ne diffère pas uniquement d’une personne à une autre, nous aurons un but vital différent à chaque étape de notre existence. L’important est que chaque objectif nous confère une motivation pour nous lever le matin et lutter pour ce que nous désirons. »

Frankl pose aussi une autre question : comment réveiller d’abord ce mouvement intérieur ? Et il en offre un grand témoignage, montrant les chrétiens comme un modèle :
« Les camps de concentration prouvent que l’être humain peut encore choisir, même dans des conditions extrêmes. Même si on le brutalise physiquement et moralement, l’homme peut préserver une partie de sa liberté spirituelle et de son indépendance d’esprit. Le fait que j’ai survécu à quatre camps de concentration m’autorise à témoigner de l’aptitude incroyable de l’être humain à défier les pires conditions imaginables. Au camp, les prisonniers entraient dans une sorte ‘d’hibernation culturelle’ entre la politique et la religion. Les manifestations religieuses étaient tout à fait authentiques. Les nouveaux venus étaient souvent frappés par l’intensité de la foi des prisonniers. Ils s’étonnaient d’entendre réciter des prières ou de voir célébrer des offices dans le coin d’une baraque. Malgré le caractère primitif de la vie concentrationnaire, le prisonnier pouvait y mener une vie spirituelle très riche. Grâce à elle il pouvait échapper à l’enfer du camp et retrouver une liberté intérieure. » ( Cf. Viktor Frankl, Un psychologue dans un camp de concentration. )

En ce moment, nous pensons à Sainte Catherine, Sainte Thérèse d’Avila, docteurs de l’Église après le Concile. Docteurs d’une anthropologie mystique.

Un autre auteur absolument différent dans la pensée, dans l’expérience sociale et politique est José Ortega y Gasset, philosophe et sociologue espagnol (1883-1955). Il a des déclarations, des réflexions qui mettent toujours en lumière la nécessité d’une redécouverte du monde intérieur.

De plus, nous ne pouvons pas ignorer la recherche phénoménologique de Edmund Husserl (1859-1938), philosophe et logicien, autrichien. Ni la contribution d’Edith Stein (1891-1942), qui après sa conversion donne une couleur très spéciale à la vie intérieure ou plutôt à la profonde descente en soi qui semble en même temps se transcender.

Enfin, nous ne pouvons pas passer sous silence Martin Buber ( 1878-1965 ) :
« Les lignes des relations, dans leurs prolongements, se croisent dans le Toi éternel. » « Chacun de vous est une brèche dans le Toi éternel. » « A travers chaque individu, le mot fondamental interroge l’éternel toi. »

Doux Jésus, Jésus amour.

Au prochain et dernier épisode !