Chronique cinéma

Publié le : 6 novembre 2021

Proposée par soeur Hélène Feisthammel

La Fracture de Catherine Corsini (novembre 2021).
Panique et hurlements dans les urgences saturées d’un hôpital après une manifestation. Un fiévreux huis clos humain et politique, à l’humour rageur.
État d’urgences, au pluriel. Le film de Catherine Corsini arrive sur nos écrans comme une alarme assourdissante. Un réveil brutal et bienvenu, dans le train-train hypnotique et délétère de ce début de campagne présidentielle. Où sont les vraies fractures de la société ? Dans le chaos de l’hôpital public, au soir d’une manifestation des Gilets jaunes. Unité de temps - une nuit sous tension maximale - et de lieu - les couloirs miteux d’un service d’urgences exsangue - pour raconter ce que l’on n’ose, d’ordinaire, imaginer et représenter sur notre sol démocratique : la guerre. Elle est partout, dans une mise en scène d’une énergie inouïe. La caméra capte la confusion, le manque et le trop-plein, comme on chevauche un animal fou, que la douleur a rendu dangereux.
État de sièges, au pluriel. Ceux des salles d’attente ou végètent les blessés de la manif, en attendant qu’un personnel soignant sous-payé, harassé cavale jusqu’à eux pour adoucir, un instant seulement, la violence du dehors. État de siège au singulier : dans la fumée des bombes lacrymogènes, des CRS campent aux portes et demandent qu’on leur livre des noms, des gens, des coupables. Dans cet établissement parisien aux allures d’hôpital de campagne, Catherine Corsini a choisi de suivre une poignée de personnages, de capter la chorégraphie de leur colère. Ça tombe, ça gueule, ça frappe. Toutes les percussions du malaise social se répondent sans jamais faiblir, pendant que, dans un coin, une vieille patiente oubliée de tous est en train de mourir doucement.


Au mépris de nos différences de Andy Anison (novembre 2021).
Dans un lycée avant-gardiste, prônant une vie plus saine, moins accro au net, un drame collectif de jeunes, crée une prise de conscience nationale. Prévenir des dangers du net (prostitution, terrorisme, escroquerie), pour ne pas relayer le mal. Mais l’être humain en est-il capable ?
Ne suivez pas notre exemple. Réinventez une vie qui vous ressemble vraiment, plus naturelle !
Vivons autrement, par la philosophie (poésie, rire, écologie, zen), pour retrouver conscience de ce qui est vraiment bon pour nous, et ouvrir la voie d’une vie heureuse, moins virtuelle et destructrice.


Compartiment N° 6 de Juho Kuosmanen (novembre 2021).
Un train file à travers la Russie post-soviétique. Dans un compartiment naît une improbable idylle. Grand Prix à Cannes, un irrésistible éloge de l’inconnu.
Le deuxième long métrage du Finlandais Juho Kuosmanen (Olli Mäki, 2016), Grand Prix du dernier Festival de Cannes, exerce, contre toutes les apparences, le charme des plus beaux films romantiques : il restitue une attirance imprévue, informulée, entre deux êtres qui se croient confusément, l’un et l’autre, voués à la solitude. Les échanges sont d’abord difficiles, rudimentaires, au bord de l’hostilité. Le rapprochement est fragile, les inhibitions s’en mêlent, quelque chose résiste. Au fil du voyage, et des escales sur ce territoire enneigé, qui dégèle lentement, l’attraction devient aussi une peur de la séparation, de la disparition : une adresse écrite sur un bout de papier suffit-elle pour ne pas se perdre à jamais, avant même d’avoir pu se connaître vraiment ? Bientôt, le compartiment no 6, qui abrite la naissance des sentiments, ce miracle, sera vide, puis occupé par d’autres gens.
Voilà un irrésistible éloge de l’éphémère, de l’inconnu et du mouvement. Car si l’on voit finalement peu les gravures rupestres espérées, le chemin qui y mène est une récompense en soi, pour les personnages comme pour les spectateurs. L’héroïne, qui aime une fille au début, est donc troublée par un garçon, sans qu’aucune explication, aucun historique de ses préférences ne soient nécessaires. Aujourd’hui, on appelle cela la fluidité. Là réside la touche la plus contemporaine de cette ode à toutes les traversées, rythmée par le tube délicieusement anachronique (il date de 1987), et inattendu lui aussi, de la chanteuse française Desireless, Voyage, voyage…


Là où le temps s’est arrêté de Christophe Tardy (22 septembre 2021).
Le printemps affiche ses couleurs et contemple sa nature généreuse, ses abeilles virevoltantes et la ferme de Claudius posée au milieu d’une clairière, au bout d’un kilomètre de chemin forestier. Les aboiements du chien cassent parfois le silence bien installé. Claudius Jomard, 89 ans, partage sa vie avec ses deux vaches, son chien, ses huit poules et son jardin. Sa ferme est isolée au milieu d’une clairière à Saint Martin en Haut dans les Monts du Lyonnais. Claudius est né là en 1930. Depuis rien n’a changé, rien n’a évolué. Tout est resté comme au début. Les saisons passent et Claudius nous montre sa vie, nous la raconte et la partage avec nous. Les tâches, les labeurs, les visites, les déplacements au village à pied, la messe, les connaissances nous montrent une vie simple et saine. À l’époque où la planète brûle à cause de notre comportement, celui de Claudius nous donne une bonne leçon. Un documentaire sans prétention à voir.


Les intranquilles de Joachim Lafosse (29 septembre 2021).
Les Intranquilles, un couple plus tendre que prévu.
• Un artiste peintre maniacodépressif doit gérer sa maladie face à sa femme et son jeune fils.
• Damien Bonnard incarne cet homme torturé face à Leïla Bekhti.
• Tous deux sont exceptionnels devant la caméra de Joachim Lafosse.
• Leur histoire d’amour, découverte au Festival de Cannes puis projetée à Angoulême, émeut profondément.
Les couples dans tous leurs états, c’est la spécialité de Joachim Lafosse. Les intranquilles, en compétition au Festival de Cannes et présenté à Angoulême, prend brillamment la suite de L’économie du couple (2016) et A perdre la raison (2012). Le cinéaste belge met cette fois en scène une famille dont le père, artiste peintre, est atteint de troubles maniacodépressifs.
J’ai voulu que mon film soit nimbé de tendresse, insiste le réalisateur. Ce sont les rapports entre ce couple et ceux qu’ils entretiennent avec leur jeune fils qui m’intéressaient. Joachim Lafosse sait de quoi il parle : il s’est inspiré de son propre père, photographe, pour écrire celui qu’incarne Damien Bonnard face à Leïla Bekhti en épouse souvent patiente, mais parfois débordée.
Les Intranquilles évoqués dans le titre du film ne sont pas seulement les malades, mais aussi leurs proches vivant dans l’angoisse d’une crise due à un arrêt de prise de médicaments. J’ai décortiqué le scénario étape par étape avec un psychiatre pour qu’il m’explique comment rendre les réactions de mon personnage face à chaque événement, confie Damien Bonnard. Non content d’étudier l’aspect psychologique de la maladie, le comédien a aussi fait appel à un boxeur pour l’aider à créer le langage corporel de son personnage, et à un peintre pour savoir comment se tenir face à ses toiles.
Une histoire d’amour. Il y a des artistes qui sont capables de gérer ces états pour en tirer la substance créative, puis à prendre leurs médicaments pour se contrôler, précise Joachim Lafosse. Le film parle de la façon dont la famille compose avec ce comportement. C’est une histoire d’amour où chacun doit trouver jusqu’où il est prêt à aller pour l’autre, insiste Damien Bonnard. C’est pour cela que Les Intranquilles émeut autant.


En route pour le milliard de Dieudo Hamadi (29 septembre 2021).
Sola, Modogo, Mama Kashinde, Papa Sylvain, Bozi, Président Lemalema… font partie de l’association des Victimes de la Guerre des Six Jours de Kisangani. Depuis 20 ans, ils se battent pour la mémoire de ce conflit et demandent réparation pour les préjudices subis. Excédés par l’indifférence des institutions à leur égard, ils décident de se rendre à Kinshasa pour faire entendre leurs voix.
1734 km sur le fleuve Congo, une incroyable épopée pour réclamer justice.
Entre le 5 et le 10 juin 2000 eut lieu un conflit méconnu appelé « guerre des six jours », où les armées ougandaises et rwandaises se sont combattues sur un terrain voisin, celui de la République démocratique du Congo alors en pleine guerre civile, et plus précisément dans la ville de Kisangani, qui fut leur point de rencontre. Particulièrement intense et violent, l’affrontement a fait de nombreuses victimes parmi les civils congolais (près de 1 200 morts et 3 000 blessés, selon Amnesty International), qui s’étaient retrouvés sous les tirs d’obus croisés des deux formations étrangères, cibles « collatérales » d’une hostilité qui ne les concernait pas directement. En 2005, la Cour de justice internationale juge l’Ouganda responsable de « crimes de guerre », ouvrant la voie à une réparation qui va pourtant s’enliser dans les méandres des négociations interétatiques.
En route pour le milliard est une œuvre profonde et humaniste, où la beauté devient une force qui transcende sous nos yeux le handicap. A ce titre, la scène où Mama Kashinde, puis l’association tout entière, se mettent à chanter et danser, est un pur moment de grâce. En s’attardant sur la manière dont ils subliment ainsi leur douleur, le film élève ces personnes au rang d’exemples de foi et de courage. Dieudo Hamadi leur donne l’occasion de s’exprimer sur une tragédie que lui aussi a vécue dans son enfance, et qui semble peu à peu tomber dans l’oubli avec les années. Il est parvenu à faire de ces témoignages pluriels une voix puissante, qui résonne par-delà des frontières, et par laquelle les Congolais peuvent enfin commencer à se réapproprier leur mémoire.


Le Kiosque d’Alexandra Pianelli (6 octobre 2021).
Quand un banal kiosque à journaux devient l’observatoire idéal de la comédie humaine. Où inventivité et finesse de ton nous réjouissent.

Dans la famille d’Alexandra Pianelli, on est kiosquière comme d’autres sont notaire, boucher ou pharmacien. Son arrière-grand-mère tenait le kiosque à journaux de la place Victor-Hugo dans le 16è arrondissement de Paris, qu’ont repris sa grand-mère, puis sa mère. Elle a brisé cette lignée, en allant étudier les Arts décoratifs à Strasbourg. Mais on n’échappe pas à son destin. Quand, son diplôme en poche, elle a dû dénicher un job alimentaire pour payer son loyer parisien, le remplacement d’une vendeuse de journaux partie vivre dans le sud s’est présenté à elle comme une solution. Et l’occasion d’exercer ses talents de vidéaste en filmant la vie de tous les jours, depuis ce poste d’observation privilégié qu’est un kiosque à journaux.
Le Kiosque s’attache aux petits riens du quotidien, au hasard des rencontres et des paroles échangées, pour en faire émerger des visages, des histoires et des bouts d’existence. Un premier film sensible, drôle et émouvant, dans lequel on est tenté de voir l’acte de naissance d’une cinéaste attentive aux battements de la vie, telle qu’elle la voit, telle qu’elle la vit.