Cinéma : « Le Cahier » par Hana Makhmalbaf

Published : 24 December 2018

Sortie en salles / 20 février 2008.
Prix du meilleur long métrage / Festival du cinéma africain, d’Asie et d’Amérique latine.
Prix spécial de l’Unicef Paolo Ungari / Festival du film de Rome 2007.
Ours de Cristal et Prix spécial de la Paix / Festival international de Berlin 2008.

« Le Cahier » ou la course d’obstacles d’une fillette dans l’Afghanistan d’aujourd’hui. Pour son premier long métrage, la jeune Hana Makhmalbaf, iranienne, a planté son décor dans une petite ville construite dans la roche rouge, au pied du site qui abrita pendant des siècles les Bouddhas géants de Bâmiyân. Ceux-là mêmes que les talibans ont détruits en mars 2001. De quoi donner un certain écho à son propos, et soulever d’emblée une question quant à ce choix : relève-t-il de l’ambition décomplexée d’une grande cinéaste en devenir, ou de l’habilité d’une communicante rompue aux attentes du public occidental ?

Le film n’apporte pas de réponse tranchée. Le scénario est resté bloqué pendant plusieurs mois dans les bureaux du Ministère de la Culture iranienne, et n’a jamais reçu l’autorisation de son pays. De ce fait, il a été tourné en Afghanistan, monté au Tadjikistan, tandis que le tra-vail de laboratoire a été effectué en Allemagne. Scindé en deux parties très distinctes, le film suit, au cours d’une journée, la course d’obstacles de Baktai, une petite fille de six ans au ca-ractère bien trempé, qui a décidé d’aller à l’école pour apprendre à lire. Dans l’Afghanistan d’aujourd’hui, on s’en doute, l’affaire n’est pas aisée et suscite toutes sortes d’épreuves.

Première étape : se procurer un cahier, faute de quoi Baktai ne sera pas acceptée à l’école. L’entreprise conduit la jeune héroïne à se rendre au marché de la ville pour tenter de vendre, à la sauvette, quatre œufs, dont la recette doit lui permettre d’acheter le cahier. Pour écrire : le bâton de rouge à lèvres de sa mère. La quête obstinée de cette fillette, perdue au milieu du monde des adultes, est prétexte pour la cinéaste à une longue séquence rythmée par toutes sortes de péripéties, qui rappelle, dans son principe, celle du petit garçon de « Où est la mai-son de mon ami ? » d’Abbas Kiarostami.

La deuxième partie du film est plus réussie d’un point de vue cinématographique. Equipée d’un cahier, Baktai tente sans succès de se faire une place à l’école. C’est alors, quand l’aven-ture semble close, que le film s’engage sur un terrain inattendu. Sur le chemin du retour, Baktai tombe dans un guet-apens tendu par une bande de garnements engagés dans un jeu de guerre pour lequel ils ont endossé le rôle des talibans. Elle est contrainte d’endurer une série de punitions dont l’intensité va crescendo, d’autant plus terrifiante que la violence sym-bolique qui s’en dégage semble constamment sur le point de devenir réelle.

Hana Makhmalbaf jalonne son film de symboles. « Le cahier est le symbole de la culture dé-truite, le bout de bois de toutes les guerres, le bâton de rouge à lèvres de toutes les oppres-sions », déclare-t-elle. « Fais la morte, si tu veux être libre » est une réplique terrible qui con-clut le film. Elle vise juste et met le doigt sur le mensonge ontologique qui fonde tout régime autoritaire.

Sœur Hélène Feisthammel