Cinéma : « Les Héritières » par Marcelo Martinessi

Published : 24 December 2018

Sortie en salles / 28 novembre 2018.
Prix de la critique internationale / Festival de Berlin 2018.
Ours d’argent pour Ana Brun / Festival de Berlin 2018.

Plusieurs fois récompensé au dernier festival de Berlin 2018, le premier film du réalisateur paraguayen Marcello Martinessi sort sur les écrans en France. Portrait intime de femmes arrivées au dernier chapitre de leur existence, dans un pays verrouillé par des décennies de dictature militaire. Ce sont « Les Héritières » d’un monde qui s’écroule.

Elles s’appellent Chela, Chiquita, Angy ou encore Pati et Pituca. Des diminutifs qui pourraient s’appliquer à des petites filles, mais qui désignent des femmes d’âge mûr. Comme si l’horloge du temps qui passe s’était arrêtée. Un monde d’une opulence passée devenue un champ de ruines. Un univers défraîchi aux tapisseries de bouquets fanés comme Chela, filmée au plus près, sans maquillage.

Collectionnant les prix dans les festivals internationaux, ce premier long métrage d’un cinéaste paraguayen séduit par son mélange de classicisme intemporel et de réalisme très actuel. Dans une maison d’Asuncion, Chela (Ana Brun, Prix d’interprétation à la Berlinade) voit disparaître les souvenirs d’un passé glorieux et protecteur. Meubles, argenterie, tableaux, tout est à vendre. Même Chiquita, son amie, doit partir, accusée de fraude et envoyée en prison.

Histoire d’une dépossession, « Les Héritières » met en lumière la beauté fanée d’une vie aristocratique, devenue fantomatique. Cette atmosphère rappelle la douceur tragique des romans de Stefan Zweig, souvent adaptés au cinéma (« Lettre d’une inconnue », « Vingt-quatre heures de la vie d’une femme »). Comme les héroïnes de l’écrivain, Chela se tient à l’écart de la vraie vie, et son destin finit par lui glisser entre les mains.

« On a vu souvent rejaillir le feu de l’ancien volcan qu’on croyait trop vieux. » Ces paroles de « Ne me quitte pas » (Jacques Brel) pourraient accompagner à merveille ce film et les tour-ments vécus par son héroïne. Ce portrait de femme osant affronter ses problèmes, financier et affectif, dresse en creux celui d’une élite paraguayenne soudain inquiète des lendemains qui déchantent.

Chronique douce-amère du Paraguay, un frisson traverse tout ce film émouvant, à la fois mé-lancolique et passionné. Un peu confus dans la mise en scène et un peu trop aride, « Les Héritières » emporte le morceau grâce à la délicatesse minutieuse avec laquelle Ana Brun incarne cette métamorphose intérieure. A voir avec attention. L’essentiel est souvent dans le détail.

Sœur Hélène Feisthammel