Huit cents ans que les dominicains annoncent l’Evangile. Interview de Sr Catherine Aubin

Publié le : 8 juin 2016

Les frères prêcheurs célèbrent cette année huit siècles d’existence. Mais qui était Dominique et quel Ordre a-t-il créé pour incarner ses intuitions ? Rencontre avec Soeur Catherine Aubin, dominicaine, journaliste à Radio Vatican et professeure à l’Angelicum, auteure de Prier avec son corps à la manière de saint Dominique.

« Il ne parlait que de Dieu et avec Dieu », disaient de Dominique les premiers frères. Quel Dieu prie Dominique ? Comment ?
Soeur Catherine : – Le Dieu de Dominique est un Dieu de miséricorde, celui qui se révèle à Moïse, qui voit la misère de son peuple. Un Dieu qui descend.
La prière de Dominique a quatre caractéristiques : il n’a pas de lit, il prie à voix haute, il pleure et il bouge. Quand il visite les couvents, il s’installe dans la cellule d’un frère ou passe une partie de la nuit dans la chapelle – à Sainte-Sabine, à Rome, il demeure dans la basilique. Dominique prie à voix haute – c’est habituel au Moyen Âge. Les frères qui l’ont observé ont retenu un cri qui l’a habité toute sa vie : « Mon Dieu, ma Miséricorde, que vont devenir les pécheurs ? ». La miséricorde, Dominique en a fait l’expérience pendant ses années d’échec, de rejet et de solitude avant de fonder l’Ordre des frères prêcheurs à Toulouse en 1215. Et puis, il pleure : il se reconnaît pécheur et son cœur est touché par la miséricorde. Enfin, sa prière n’est pas statique : il s’agenouille, s’allonge, lève les bras, marche, fait le tour de l’autel, s’assied,... Cette prière en mouvement dit un Christ ressuscité qui donne la vie.

La vérité lui tient à cœur. Pourquoi ?
– La vérité, pour Dominique, c’est le Christ et sa Parole. C’est au cœur de l’hérésie cathare que naît son attachement pour elle : dans un milieu où règne l’erreur, il se veut porteur de la vérité de l’Evangile et du salut apporté par le Christ. C’est cela notre passion à nous dominicains : annoncer l’Evangile pour le salut des âmes. Pour ce faire, nous étudions la Parole. Il s’agit de contempler pour annoncer.

Votre fondateur est souvent représenté devant le Christ en croix : quel sens a cette attitude ?
– C’est le livre de la croix – la grande expression de l’Ordre : la croix est un livre ouvert, le livre de la charité. Fra Angelico peint des croix avec un Christ
vivant : il a les yeux ouverts et de son côté sort du sang, sa vie ; il entre en contact avec Dominique dans une profonde intimité.

Pourquoi avoir fondé un Ordre mendiant ?
– Dominique veut ses frères libres de charges, de rentes, de revenus, de propriétés. Il les désire disponibles pour prendre la route avec un baluchon, partir là où on les appellera. C’est dans cet esprit qu’il faut comprendre la mendicité : il ne s’agit pas de quémander, mais de vivre l’itinérance. Si Bruno Cadoré, le Maître de l’Ordre des prêcheurs, a choisi comme devise du jubilé des 800 ans « Va et prêche », c’est pour signifier qu’un dominicain doit toujours être prêt à partir pour proclamer la Parole.

Partir, mais pas seul...
– On ne peut pas être dominicain et être seul. La vie en communauté est la vérification de notre prédication : il est inutile de prêcher la charité si on ne la vit pas en communauté.

Dominique est un homme libre...
– La liberté, le fait de n’être attaché ni à des biens ni à une règle, est une grande composante de la vie dominicaine. Dominique en donne un exemple en vendant des parchemins annotés de sa main pour que des hommes ne meurent pas de faim. C’est une façon de nous dire que la Parole est contenue non seulement dans un livre, mais encore en chacun de nous.

Aujourd’hui, la prédication a des contours variés...
– Entre frères, sœurs, moniales et laïcs dominicains, l’annonce se déploie comme un arc-en-ciel : réaliser des émissions, écrire, étudier, enseigner, se rendre dans des pays en guerre, s’intéresser à l’islam et pratiquer l’arabe, comme Mgr Pierre Claverie en Algérie, sont autant de formes de prédication. Chez Dominique, la prédication ne va jamais sans la consolation : consolant ses frères, il les remet dans leur vocation.

Dominique prie avec tout son corps...

– Oui, et Les neuf manières de prier de saint Dominique en témoigne. Ce livret, qui représente la prière d’un saint par le texte et l’image, est un témoignage unique dans l’histoire de la spiritualité chrétienne. A l’origine, il a beaucoup circulé dans les monastères de moniales. A l’époque, il y avait des centaines d’exemplaires, il en reste quatre aujourd’hui. Les frères et les sœurs devaient en posséder un et le méditer dans leur cellule. C’est une pédagogie pour entrer dans la prière de Dominique.

Pourquoi vous être intéressée à ce livret ?
– J’ai eu un coup de foudre quand je suis entrée au postulat à Paris. On faisait une neuvaine pour la fête de saint Dominique et aux complies, on lisait une manière de prier avec l’image correspondante. Je me suis dit : « C’est extraordinaire ! On nous explique comment Dominique priait. Nous aussi, dans la tradition catholique, nous avons une pédagogie de la prière du corps ». Cela ne m’a jamais lâchée.

De ce coup de foudre sont nés une thèse de doctorat avec le cardinal Cottier, puis un livre. Comment avez-vous approché ce texte ?

– M’appuyant sur l’anthropologie biblique – qui voit dans l’homme trois grandes composantes : l’intériorité, la communication et l’action –, je l’ai divisé en trois questions pour entrer dans la pédagogie du fondateur : que fait Dominique ? Que dit-il ? Que vit-il ?

Vous distinguez trois étapes qui dessinent une progression...

– L’accueil, la rencontre et le don. Les quatre premières attitudes, l’humilité, la componction, la discipline et la confiance, sont des attitudes d’accueil ; elles labourent le terrain pour la rencontre. Les trois suivantes illustrent la rencontre : Dominique est visité tour à tour par la Parole, la vie du Ressuscité et l’Esprit Saint. Cette rencontre s’incarne dans le don : assis pour l’étude de la Parole, en marche pour l’annonce de l’Evangile, Dominique est tout donné au Seigneur et à ceux qu’il rencontre. Une démarche que chacun est invité à faire sienne.

Document(s)

32-35_dominicains_em20.pdf (248 ko)

 8 juin 2016