Les saveurs de la prière (édito)

Published : 3 March 2016

Le bloc-note de Jean-Claude Guillebaud, journaliste, écrivain et essayiste

La méditation a le vent en poupe. Y compris dans les colonnes de La Vie. On ne s’en plaindra pas ! L’époque redécouvre qu’au-delà de l’obsession marchande et de l’esprit de compétitivité, la spiritualité est consubstantielle à la nature humaine. Elle n’est pas un simple plus, ni je ne sais quel ajout ornemental mais une fonction vitale. Au sens fort du terme. Du coup, la méditation est un peu partout de nouveau à l’ordre du jour. Pour les chrétiens que nous sommes, c’est assurément une bonne nouvelle. Mais elle ne va pas sans ambiguïté.

À côté de cette méditation omniprésente, que devient la prière ? Existe-t-il un lien entre l’une et l’autre ? Lequel ? J’ai emprunté le titre de ce bloc-notes à un livre éblouissant et bienvenu (les Saveurs de la prière). Il est l’œuvre d’une sœur dominicaine, Catherine Aubin, par ailleurs professeure de théologie sacramentelle et de théologie spirituelle. Qu’on ne se laisse pas impressionner par ces titres ronflants. Les 115 pages de ce petit livre (éditions Salvator) sont d’une fraîcheur troublante.

Plus encore : j’avais rarement lu des pages aussi apaisées et apaisantes, joyeuses, goûteuses. L’érudition de Catherine Aubin ne fait jamais écran à une simplicité qui fait penser à cette grâce que Bernanos appelait « l’esprit d’enfance ». La prière, aux yeux de sœur Catherine, est le contraire d’une prostration contrainte. Elle est vivante et calme, un trésor dont il faut se montrer corporellement capable.

Dans les représentations de saint Dominique, rappelle-t-elle, on voit ce dernier prier debout les bras levés, assis ou couché, agenouillé ou incliné. Son corps est toujours mobilisé, comme le nôtre doit l’être. « Être chrétien appartient d’abord au domaine de l’expérience, et non à celui des idées. »

À plusieurs reprises, elle insiste sur le fait que la rencontre de Jésus s’intègre dans une expérience sensorielle. Nos cinq sens sont requis : entendre, voir, sentir, toucher, goûter. Chacun est d’ailleurs évoqué par l’auteure dans son rapport direct et heureux avec la prière. Paradoxalement, c’est la paix avec soi-même qui libère le doux chuchotement de nos sens. Elle cite saint Anselme : « Laisse assoupir l’ouragan des pensées intérieures et assieds-toi, repose-toi en t’élevant toi-même au-dessus de toi-même. » Alors, ajoute-t-il, le Seigneur viendra dans un murmure.

Ces évocations d’une prière qui est – aussi – corporelle redonnent à celle-ci sa vraie joie. Souvenons-nous des innombrables références corporelles qui parsèment les Évangiles. Redresse-toi ! Repars du Christ ! Chante et marche !

Avec ces pages lumineuses sur la prière, Catherine Aubin réhabilite un trésor spécifiquement chrétien : celui de l’incarnation, ce « scandale » évangélique. Glorifié par la résurrection, le corps est pour nous le lieu où tout se noue. Il n’est pas un simple amas de cellules ou de gènes, ni une illusion dont il faudrait se déprendre, il est une réalité à la fois souffrante et heureuse, hors de laquelle rien n’advient. L’humain est inscrit dans un corps de chair, au cœur du monde, et de cette chair sourdent du désir vital et un appel à l’autre. De là, procèdent aussi les incomparables saveurs de la prière. Quelles belles pages !

Source : http://www.lavie.fr