Message de Noël du Maître de l’Ordre, 2020

Publicado el : 21 de diciembre de 2020

«Ce qui était depuis le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux… et que nos mains ont touché du Verbe de vie, nous vous l’annonçons. Oui, la vie s’est manifestée… Nous vous l’annonçons… afin que notre joie soit parfaite.» I Jean 1:1,3-4

Chers frères et sœurs,

Que ce soit en période de pandémie ou de prospérité, Noël est une célébration de la proximité inouïe de Dieu qui vient habiter en nous et parmi nous, une action de grâce à notre Dieu si bon qui se donne lui-même en cadeau.

Cette année du Seigneur 2020 s’est vraiment révélée inattendue, sans précédent, inoubliable. La plupart d’entre nous ont célébré le triduum de Pâques, confinés et portes fermées, nos cœurs se sont remplis d’anxiété face à un avenir incertain. Mais ensuite, nous avons pu tourner nos pensées vers le Seigneur ressuscité et poser les yeux de notre foi sur Lui, qui entre, même par des portes fermées, nous salue de sa paix et nous invite à ne pas avoir peur.

A présent, nous célébrons Noël, toujours en lutte contre ce virus, en nous protégeant nous-mêmes et en protégeant nos proches en gardant une distance charitable les uns par rapport aux autres. Notre chant du Venite adoremus est étouffé par des masques et des écrans faciaux. Si Saint Paul nous exhorte à contempler à “visage découvert” (2 Corinthiens 3:18) la gloire de Dieu, cette année, nous adorons la beauté du Roi nouveau-né les visages couverts. Même si nos célébrations sont simples et clairsemées, nous puisons notre espoir et notre consolation dans la commémoration de la naissance de l’Emmanuel, le Dieu qui est “plus proche de nous que nous ne le sommes de nous-mêmes” (Saint Augustin, Confessions III, 6, 11).

Nos plus beaux souvenirs de Noël remontent à notre enfance, lorsque les arbres de Noël semblaient nous dominer, lorsque quelques bonbons semblaient être une abondance de délices dans nos petites mains. En grandissant, nous avons réalisé que Noël ne consiste pas à se régaler d’aliments succulents, mais à partager des nourritures qui répondent à la faim de notre corps et satisfont la faim de notre âme pour la fraternité et l’amitié, que Noël ne consiste pas seulement à échanger des cadeaux, mais que c’est aussi le don de notre présence, de notre temps, le partage de nos conversations, le simple fait d’être ensemble comme des frères et sœurs, avec notre famille et nos amis.

Cependant, la question demeure : comment éprouver la joie de Noël en période de pandémie ? Dans de nombreux foyers et communautés, y compris dans certains de nos couvents, il y a des places désormais vides, ce qui nous rappelle les êtres chers que nous avons perdus cette année. Il aurait pu ne pas y avoir de fêtes de Noël tant l’argent s’est fait rare en raison des pertes d’emplois et des difficultés économiques. En raison des restrictions de voyage et de déplacement, les personnes âgées pourraient ressentir cruellement le manque de visites et l’impossibilité d’étreindre leurs proches. Des masques pourraient cacher les sourires éclatants des personnes chantant les cantiques de Noël, comme des “lampes cachées sous le boisseau” (Matt. 5:15) qui ne pourraient pas éclairer pleinement ces sombres nuits de décembre. Comment recevoir la joie de Noël en ce temps de pandémie ?

Notre joie serait complète, comme l’assure le disciple bien-aimé, si nous prêchions “ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux… et touché de nos mains, le Verbe de vie qui s’est manifesté” (I Jean 1:1,3-4).

Une représentation éloquente nous en est donnée dans le beau tableau de sœur Orsola Maddalena Caccia où l’on voit la Sainte Mère de Dieu qui, à l’image de ces mères qui laissent fièrement leur nouveau-né être porté dans les bras, permet à Saint Dominique de voir et de toucher l’enfant Jésus. C’est là la grâce de Dominique, la joie de prêcher Celui qu’il a entendu, vu et touché, le Verbe Incarné.

En ce Noël, alors que nous commençons à célébrer le centenaire du Dies Natalis de Saint Dominique, nous nous demandons : comment avons-nous entendu, vu et touché la Parole cette année ? Dans de nombreux endroits, le son incessant des sirènes est devenu un écho permanent de la pandémie. Mais cela signifie aussi que tout le personnel de santé continue de secourir les malades.

J’ai appris d’un frère de Sainte-Sabine le beau mot allemand pour infirmière : Krankenschwester, qui signifie littéralement “sœur des malades“. Une personne malade n’est pas seulement un patient, mais un membre de la famille, un des nôtres. En période de calamités, nous voyons toujours des gens qui aident et soignent les autres. Lorsque les choses s’effondrent, nous devons toujours chercher les “sauveurs”, les personnes qui nous font sentir que tout ira bien même face à l’adversité ; elles nous donnent de l’espoir. Il est certainement bon de voir l’une d’entre elle lorsque nous nous regardons dans le miroir !

Ces derniers temps, même avant la pandémie, la proximité et le contact ont été traités avec suspicion. Ils peuvent être des signes d’abus. Avec la menace de la Covid-19, ils sont devenus des menaces de contagion et de mise en danger. La malveillance a déprécié le toucher et rendu la proximité risquée et imprudente, la charité tactile est devenue taboue et terriblement offensante. Paradoxalement, le maintien d’une distance de sécurité comme protection et prévention de la transmission virale s’est transformé en un signe sincère de notre “proximité” et d’une préoccupation réelle pour la santé et la sécurité d’autrui.

Je suis heureux qu’en ces temps difficiles, nous ayons entendu et vu les nombreuses prédications et œuvres de charité de nos frères et sœurs, qui ont touché le cœur de tant de personnes.

La joie de Noël est un cadeau qui nous attend lorsque nous prêchons Celui que nous avons entendu, vu et touché. Il n’est pas étonnant que dès les premiers temps de notre Ordre, nous ayons prié :

Que Dieu le Père nous bénisse,
Que Dieu le Fils nous guérisse,
Que Dieu le Saint-Esprit nous éclaire et nous donne
des yeux pour voir,
des oreilles pour entendre,
des mains pour faire le travail de Dieu,
des pieds pour marcher,
et une bouche pour prêcher la parole du salut…

Un jour, j’ai lu l’histoire d’un professeur qui demandait à ses élèves : comment est-ce que vous pourriez dire que la nuit est finie et que le jour est là? Un élève a répondu : « est-ce que c’est quand je peux voir de loin un arbre et que je peux dire si cet arbre est un pommier ou un oranger ? » Le professeur répondit : « non, pas encore ». Un autre élève tenta de répondre : « est-ce que c’est quand, de loin, je peux voir un animal et que je peux dire si c’est une vache ou un cheval ? » L’enseignant répondit : « pas tout à fait. » Les élèves demandèrent alors en chœur qu’il leur donne la réponse. Le professeur déclara : « c’est quand vous voyez de loin une personne et que vous pouvez déjà voir dans cette personne le visage d’un frère ou d’une sœur. C’est quand on en arrive à discerner cela qu’il est certain que l’obscurité de la nuit est terminée et que la lumière du jour a déjà commencé. »

Pour nous, chrétiens, les ténèbres s’arrêtent lorsque nous voyons dans nos frères et sœurs, dans chacun et en particulier dans les pauvres, la présence même de Jésus. C’est la véritable célébration de Noël – pour proclamer notre foi en l’Emmanuel, le Dieu-qui-est-avec-nous, le Dieu-qui-est-en-chacun de nous. La question que nous devons nous poser en ce Noël n’est pas seulement “qui est Jésus pour nous ?” mais “où est Jésus dans nos frères ?” Il est l’Emmanuel !

Que la lumière du Christ brille à travers nous,
pour dissiper l’obscurité autour de nous et en nous.
Un saint Noël à vous et à tous ceux qui vous sont chers !

Votre frère,
Gérard Francisco Timoner III, OP
Maître de l’Ordre