Œcuménisme et dialogue interreligieux : enjeux et défis

Published : 24 January 2018

Revue unité des Chrétiens. n° 198 – Janvier 2018
Par sœur Dominique Devillers

DIALOGUE ŒCUMENIQUE ET RENCONTRE INTERRELIGIEUSE.

Unité des Chrétiens, invite à réfléchir à l’interaction entre les dialogues œcuménique et interreligieux. Belle et grave question qui interroge au cœur de notre foi. Si, en 1986, l’annonce a quelque peu surpris, la rencontre d’Assise va se révéler comme un événement majeur qui tente précisément d’articuler les deux dialogues, même s’il faut s’entendre sur ce dernier mot. Tenir à la fois que Dieu veut que toute l’humanité soit sauvée et que le Christ est le seul Sauveur : telle est la gageure que doit relever le christianisme dans ses rapports avec les autres religions. Il me semble que cette belle expression, ‘’l’esprit d’Assise’’, qui qualifie ces rencontres, invite à une manière d’être qui exige un engagement personnel dans la prière, la recherche de la vérité et une volonté d’agir pour que la paix habite notre terre.

Grâce et joie d’avoir participé en 2016 à Assise à cette rencontre. Depuis 1986, je suis attentive à ce moment privilégié, à ce temps qui permet à des hommes et des femmes d’exprimer leur volonté de paix et de communion au-delà de ce qui peut séparer les uns et les autres : convictions religieuses, politiques, sociales… Je garde un souvenir toujours ému de cette première rencontre de 1986. Par la pensée et le riche temps de prière auquel il m’a été donné de participer, j’étais (déjà !) à Assise en cette année bénie !

Quel chemin nous a ainsi conduits en ce lieu pour une telle rencontre qui marque désormais chaque année depuis 1986, avec cette étonnante appellation : ‘’dans l’esprit d’Assise‘’ ! Ces mots sont devenus des paroles qui affirment, au regard du monde, la volonté et l’espérance pour les hommes de vivre dans un univers de paix et de confiance. La rencontre, dira-t-on, fut si singulière qu’elle était un symbole en elle-même et, cependant, cet événement portait une telle énergie qu’il ne put être arrêté. Et ce fut, écrit J.D. Durand, ‘’l’intuition de la communauté de Sant’Egidio de comprendre immédiatement la portée de l’initiative du pape, en en reprenant l’inspiration’’. ‘’Marche symbolique de la paix’’, selon l’expression de saint Jean-Paul II dans sa lettre du 1er octobre 1997 qui, depuis, conduit les croyants, en Italie et hors d’Italie, de ville en ville, jusqu’à Jérusalem, en des lieux toujours symboliques ce qui a permis de rendre ‘’l’esprit d’Assise, pèlerin sur les chemins du monde’’. Mgr Pietro Rossano parlait de ‘’la responsabilité sociale des hommes de religion’’ et l’appel de la rencontre de Rome en 1996 soulignait la ‘’grande responsabilité de prêcher le pardon’’ afin de préparer les esprits à la paix’’ et de la ‘’responsabilité des croyants face à un nouvel ordre mondial’’.

J’aime à évoquer ces belles et grandes étapes de l’histoire des 50, 60 dernières années qui ont vu naitre et ont laissé croitre cette aspiration à la paix et à l’unité de notre humanité. Quelle reconnaissance au pape Paul VI qui, dans sa magnifique encyclique Ecclesiam suam, invitait l’Eglise au dialogue, un dialogue dont il indique la source et qui, en 1964, devait conduire à la rencontre à Jérusalem du patriarche Athénagoras et du pape Paul VI.

‘’L’origine du dialogue se trouve dans l’intention même de Dieu. La religion est de sa nature un rapport entre Dieu et l’homme. La prière exprime en dialogue ce rapport. La Révélation, qui est la relation surnaturelle que Dieu lui-même a pris l’initiative d’instaurer avec l’humanité, peut être représentée comme un dialogue dans lequel le Verbe de Dieu s’exprime par l’incarnation et ensuite par l’Evangile. […]. L’histoire du salut raconte précisément ce dialogue long et divers qui part de Dieu et noue avec l’homme une conversation variée et étonnante. (n° 72). ‘’Il faut que nous ayons toujours présent cet ineffable et réel rapport de dialogue offert et établi avec nous par Dieu le Père, par la médiation du Christ dans l’Esprit Saint, pour comprendre quel rapport l’Eglise doit chercher à instaurer et à promouvoir avec l’humanité’’. (n° 73).
Mais comment est née la rencontre des religions, et la rencontre en ce lieu ? Assise est, dès le départ, un lieu tourné vers la paix : les racines de cet événement inédit et même novateur, sont à rechercher dans ces deux directions : dialogue et paix.
En 1986, le dialogue interreligieux n’en est encore qu’à ses prémices. En 1970, une Conférence mondiale des religions pour la paix a vu le jour lors d’une rencontre à Kyoto à laquelle a participé Paul VI. Entre chrétiens le désir de quelques-uns d’aller vers l’unité avait abouti à la création du Conseil œcuménique des Églises en 1948, composé toutefois, à ses débuts, d’Églises essentiellement ‘’protestantes et occidentales’’. Côté catholique, le concile Vatican II et la déclaration Nostra ætate, ont marqué un réel changement de perspective dans la manière dont l’Église regarde les autres confessions chrétiennes et les religions. ‘’Si nous ne pouvons partager ces différentes expressions religieuses, nous ne pouvons demeurer indifférents et l’on peut reconnaître les valeurs spirituelles et morales de ces différentes confessions religieuses non chrétiennes. Un dialogue est possible’’. (N.A. n° 111-112). Déjà, le 6 septembre 1938 dans un contexte inquiétant, Pie XI avait affirmé : “Spirituellement, nous sommes tous des sémites,” invitant à un regard en vérité sur le peuple croyant.
Les papes lancent aussi des voyages apostoliques, concrétisant le désir de Paul VI d’un ‘’dialogue avec le monde’’. Assise s’inscrit ainsi « à la suite des voyages de Jean-Paul II en Turquie en 1979, au Maroc en 1985, et de sa visite à la synagogue de Rome le 13 avril 1986 », rappelle l’historien Jean-Dominique Durand . ‘’Le dialogue interreligieux […] est le chemin pour désamorcer la peur et la violence. Nous n’avons pas changé notre manière de croire, mais notre regard sur l’autre […]. Le dialogue avec des croyants est un chemin sur lequel on rencontrera peut-être des souffrances mais qui mène à un enrichissement de sa propre foi’’, devait dire Mgr Michel Santier, en novembre 2008, au terme d’une rencontre.

A travers ces événements et témoignages il nous est donné de mesurer quelque peu l’importance de ce ‘’dialogue’’ interreligieux et nous savons comment Benoît XVI a repris l’initiative de Jean-Paul II pour lui donner une forme de pérennité, en l’ancrant dans la tradition de l’Église. En 2006, dans son message pour le 20ème anniversaire d’Assise, il qualifie la rencontre ‘’d’intuition prophétique’’, de ‘’moment de grâce’’. Mais il rappelle aussi son souci que « la convergence des différences ne (donne pas) l’impression de céder à un relativisme qui nierait le sens même de la vérité et la possibilité de l’atteindre ». En 2011, Benoît XVI choisit de célébrer le 25e anniversaire de la rencontre et innove en invitant des non-croyants.

Comment situer la rencontre interreligieuse au regard du dialogue œcuménique ? Je ne ferai qu’évoquer quelques témoignages de responsables ; mais avant je soulignerai le signe bouleversant donné lors du temps de la prière. Les différents groupes sont invités à se retrouver afin de prier selon leurs convictions religieuses ; le peuple chrétien, lui, se retrouve, un, auprès de Dieu, à l’écoute de la Parole. Quelle grâce de vivre, dans une même communion, la rencontre du Seigneur, au cœur de ce peuple divers et croyant rassemblé. Un moment inoubliable. En 1986, c’est la cathédrale qui fut témoin de l’événement et cela pour moi marque encore le lieu. En 2016 Bartholomée devait dire:
Dans le passage que nous venons de lire, l’auteur de l’Apocalypse (22, 16-18) invoque : Viens, viens ! et nous, en obéissant à cet ordre, nous sommes arrivés en cette ville sainte des différents coins du monde et nous nous retrouvons ensemble, comme chrétiens, en ce lieu sacré pour invoquer du Seigneur le plus grand de ses dons, la paix, de Lui qui est le roi de la paix.[…]. Aujourd’hui, on demande aux chrétiens une ‘’martyria’’, un témoignage de communion : À ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. (Jn 13, 35).

Dans sa lettre au pape François le 29 juin 2017, il écrivait ces paroles qui sont un appel à entendre :
Aujourd’hui nous pensons à la joie que nous avons éprouvée en étant avec vous en Egypte, une terre constamment irriguée par le sang de martyrs chrétiens. […]. Ainsi, nous sommes convaincus que notre témoignage commun […] constitue un témoignage positif pour l’Eglise du Christ et pour nous rapprocher davantage de l’unité. […]. Ce dialogue interreligieux devient encore plus fort à travers un meilleur rapprochement des chrétiens divisés.

D’Ukraine nous venait cet appel : ‘’Ici les Eglises sont devant un immense chantier : le témoignage et l’action mettent au défi les Eglises devant les drames de notre temps’’, appel relayé par le pasteur François Clavairoly : ‘’Le monde a besoin de signes. Le témoignage des Églises qui se mettent ensemble pour œuvrer est un de ces signes’’ et le Révérend Justin Welby nous disait : ‘’ Nous sommes appelés à être la voix du Christ pour tous ceux qui sont sans espérance’’. Alors que l’on célébrait les 25 ans de la rencontre d’Assise, Mgr Michel Santier, évêque de Créteil, rappelait : ‘’En 2011, tout autant qu’en 1986, notre monde a besoin du témoignage de la prière des croyants et de leur engagement ensemble au service de la justice et de la paix. Puissions-nous, […] en être humblement mais résolument des acteurs avec tous les hommes et femmes de bonne volonté’’. Le dialogue interreligieux est une invitation pressante au monde chrétien à répondre à sa vocation : Qu’ils soient un pour que le monde croie !’’

Sr Dominique Devillers. OP

1. L’esprit d’Assise. Discours et messages de Jean Paul II à la communauté de Sant’Egidio. Une contribution à l’histoire de la paix. Cerf, 2005.