Prier avec Catherine de Sienne

X.- Prière faite à Rome, le mercredi 3 mars 1379.

1.- O Trinité éternelle, Dieu tout puissant, nous sommes des arbres de mort, et vous êtes l’arbre de vie. Dieu infini, quel spectacle de voir dans votre lumière l’arbre de votre créature!
Vous aviez tiré de vous, Pureté suprême, son âme pure et innocente, et vous l’avez unie à un corps formé du limon de la terre. Vous aviez donné à cette arbre pour rameaux les puissances de l’âme, qui sont l’intelligence, la mémoire et la volonté. Et quels fruits devaient porter ces rameaux? La mémoire devait retenir, l’intelligence devait comprendre, la volonté devait aimer. O arbre, dans quel heureux état le jardinier divin t’avait planté !
2.- Hélas ! cet arbre, ô mon Dieu, s’ est séparé de l’innocence par sa faute ; il est tombé, Il est devenu d’un arbre de vie un arbre mort ; et il ne pouvait plus porter que des (394) fruits empoisonnés. Mais, éternelle Trinité, vous vous êtes passionnée jusqu’à la folie pour votre créature ; et lorsque vous avez vu que cet arbre ne devait plus produire que des fruits de mort, parce qu’il s’était séparé de vous, qu êtes la Vie, vous l’avez sauvé par ce même amour qui vous avait poussé à le créer ; vous avez greffé votre divinité sur l’arbre perdu de notre humanité. Bonne et bienfaisante greffe, vous avez mêlé votre douceur à notre amertume, la splendeur aux ténèbres, la sagesse à la folie, la vie à la mort, l’infini au fini.
3.- Après l’injure que votre créature vous avait faite, qui donc vous a pu forcer à cette union qui nous rend la vie? C’est l’amour, le seul amour ; et cette greffe merveilleuse a vaincu la mort. Mais cela ne suffisait pas aux ardeurs de votre charité, ô Verbe éternel : vous avez voulu arroser cet arbre de votre propre Sang, et ce Sang par sa chaleur fait fructifier l’arbre, dès que l’homme consent à s’unir et à vivre en vous. Son coeur et ses affections doivent être liés à la greffe céleste par les liens de la charité et l’imitation de votre doctrine. Nous ne pouvons et ne devons pas suivre le Père, en qui ne peut être la peine ; nous devons par la peine et le tourment de nos désirs nous rendre conformes à vous ; car vous êtes la vie, et rions produirons des fruits de vie en recevant votre sève vivifiante. Dès que nous vous sommes unis, les rameaux donnent leurs fruits ; la mémoire se remplit du souvenir continuel de vos bienfaits ; l’intelligence vous contemple pour connaître votre éternelle volonté et vos perfections ; la volonté veut aimer ce que l’intelligence lui a fait connaître. Chaque rameau donne ses fruits aux autres rameaux ; et parce que l’âme, par la connaissance qu’elle a de vous, se connaît mieux elle-même, elle se hait dans sa sensualité.
4.- O Amour infini, quelles merveilles vous avez opérées dans les créatures raisonnables! O Dieu éternel, si, lorsque l’homme était un arbre de mort, vous avez daigné en faire un arbre de vie, en vous y greffant vous-même, ne pourriez-vous pas, malgré la multitude de ceux qui, par leur faute, portent des fruits de mort, en ne s’unissant point à vous qui êtes la vie, ne pourriez-vous pas sauver le monde que je vois se séparer de vous et persévérer dans la mort! Oui, les hommes ne viennent pas à la fontaine où est le Sang qui (395) doit arroser leur arbre ; la vie éternelle coule pour nous, pauvre créatures, qui l’ignorons et n’en profitons pas.
5.- O mon âme aveugle et misérable, où sont les cris et les prières que tu dois répandre en la présence de ton Dieu, qui t’y invite sans cesse? Où est ta douleur profonde pour ces arbres qui restent dans la mort? Où sont ces désirs suppliants qui fléchissent l’éternelle Bonté? Hélas! je ne les ai pas, parce que je n’ai pas encore perdu l’amour de moi-même. Si je l’avais perdu, si je cherchais Dieu, si je voulais uniquement la gloire de son nom, mon coeur s’échapperait de mon corps et mes os distilleraient leur moelle. Mais je n’ai jamais produit que des fruits de mort, parce que je ne suis pas greffé sur vous, mon Dieu.
6.- Quelle lumière, quel éclat reçoit l’âme qui est greffée véritablement sur vous ! O générosité sans borne, la mémoire nous dit sans cesse que nous sommes obligés d’aimer et de suivre la doctrine et les exemples du Verbe, votre Fils unique. Sans la lumière de la foi, nous ne pourrions suivre cette doctrine et ces exemples ; aussi l’intelligence fixe cette lumière pour en avoir la connaissance, la volonté aime aussitôt ce que l’intelligence lui montre ; tous les rameaux se communiquent leur fécondité.
7.- O arbre, où prends-tu donc tes fruits de vie, puisque tu es mort et stérile? C’est l’Arbre de vie qui te les donne ; s’il n’était pas greffé sur toi, tu n’aurais aucune vertu, puisque tu n’es rien. O Vérité éternelle, vous nous produisez des fruits d’amour et de lumière, des fruits de cette prompte obéissance qui vous a fait courir avec ardeur à la mort ignominieuse de la Croix. Vous avez porté des fruits en greffant votre divinité sur notre humanité, en attachant votre corps sacré sur le gibet du Calvaire. L’âme qui vous est unie ne pense qu’à votre honneur et au salut des âmes. Elle devient sage, fidèle, patiente et prudente.
8.- Rougis de honte, toi qui par tes fautes te prives de si grands biens et t’exposes à de si grands malheurs. Tes bonnes oeuvres ne peuvent servir à Dieu, et tes offenses ne peuvent lui nuire ; mais son infinie bonté se réjouit lorsque sa créature veut bien recevoir ses dons ineffables et accepter le bonheur qui lui est destiné. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi. Unissez-vous, greffez sur vous ceux que vous m’avez donnés à aimer d’une manière spéciale, afin qu’ils (396) portent des fruits de vie. O bonté infinie ! la rosée de votre lumière céleste donne à l’âme qui vous est unie la paix de la conscience ; et la rosée de vos serviteurs dissipe les nuages et rend la lumière et la paix à l’Église votre Épouse ; faites tomber ces rosées, je vous en conjure humblement. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi. Ainsi soit-il.