Quand l’art participe du charisme dominicain…

Extrait d’un article sur l’ouverture de la Maison des élèves de l’Ecole du Louvre qui s’installe dans le foyer de la rue de Condé à Paris.

Si Pie XII, en 1952, avait déjà affirmé une « affinité intrinsèque de l’art avec la religion » (1), Paul VI a invité, lors d’une allocution prononcée en mai 1964, après la promulgation de la Constitution sur la liturgie du Concile Vatican II, à renouer les liens d’amitié entre l’Eglise et les artistes. Dans l’introduction de son livre Art chrétien / art sacré, regards du catholicisme sur l’art, France, XIXe-XXe siècle (2 , Isabelle Saint-Martin a attiré l’attention sur la déclaration de repentance formulée alors à la destination des artistes, et qui accompagnait cet appel à l’amitié : « nous vous avons parfois imposé une chape de plomb, on peut bien le dire, pardonnez-nous ! (3)». Jean-Paul II, puis, dix ans après, Benoît XVI se sont inscrits dans la même ligne, le second reprenant les mots du premier afin « d’exprimer et de renouveler l’amitié de l’Eglise avec le monde de l’art » (4).
Un des aspects intéressants de ces déclarations concordantes est le fait que la parole pontificale porte sur « l’art » en général, sans ajouter de qualificatif : ni « catholique », ni « chrétien », pas même « sacré » ou « religieux ». Il y a donc quelque chose de fondamental, d’irréductible, qui met en relation l’art, dans sa puissance intrinsèque et son identité polymorphe, avec l’Eglise.
Parallèlement, le sens des formes, images, musiques, architecture, danse, performances corporelles..., qu’elles soient anciennes ou contemporaines, ne peut être compris en dehors des repères symboliques nécessaires à leur réception et en appelle à une ouverture à la spiritualité, aux spiritualités des sociétés humaines de tous les temps et de toutes les régions du monde. Nous regardons, nous « recodons » (5) aujourd’hui en objets d’art, principalement décoratifs, des objets qui furent, pour ceux qui les fabriquèrent, des objets destinés aux cultes, à la louange ou à la célébration de la divinité. Cette interversion des codes est aussi vraie pour des moulins de prière shinto du Japon que pour des reliquaires chrétiens.
L’intelligence de l’art suppose une ouverture à la dimension spirituelle de sa conception, de sa destination et de ses enjeux. A cet égard, il est utile d’entendre la parole d’un architecte contemporain, Jean-Marie Duthilleul, à la fois concepteur des grandes gares conçues dans les années 1990 pour accueillir les TGV et auteur de l’aménagement de l’hippodrome de Longchamp pour les cérémonies des JMJ de Paris en 1998. Evoquant à la fois le Parthénon, le Temple du Ciel à Pékin et la cathédrale de Chartres, il estime que « l’intelligence profonde de l’art passe par la connaissance de la façon dont le réel sensible intervient dans la relation de l’homme à Dieu » (6). Il remarque que c’est précisément cette connaissance qui nous manque pour comprendre les alignements de pierres dressées de Carnac. On n’entre pas dans la compréhension de ces alignements parce qu’on ne connaît pas le rôle qu’entretenait ce dispositif avec la divinité.

Ces considérations sur le lien entre l’art et l’Eglise, nous interpelle nous, dominicaines. Quelle place faisons-nous l’art dans notre prédication, notre prière et jusque dans nos lieux de vie. Dans le cadre des célébrations du jubilé de la mort de saint Dominique, chaque communauté est invitée à présenter une œuvre d’art sur st Dominique (statue, icone, peinture…) liée à l’histoire de votre entité ou de votre communauté. Avec l’apport de chacune, cela pourra constituer en quelque sorte notre « patrimoine artistique dominicain CRSD » !


(1) Discours aux artistes, 8 avril 1952, cité dans Isabelle Saint-Martin, Art chrétien / art sacré, regards du catholicisme sur l’art, France, XIXe-XXe siècle, Presses Universitaires de Rennes, 2014, p. 11.
(2) Isabelle Saint-Martin, Art chrétien / art sacré, regards du catholicisme sur l’art, France, XIXe-XXe siècle, Presses Universitaires de Rennes, 2014.
(3) Paul VI, « L’Eglise et l’art », Insegnamenti di Paolo VI, Rome, 1964, 312-318, trad. fr. La Documentation catholique, n° 61, 1964, p. 383-388.
(4) Benoît XVI, « Discours aux artistes », 21 novembre 2009 ; Jean-Paul II, « Lettre aux artistes », 4 avril 1999.
(5) L’expression est ici empruntée à Régis Debray qui publia, en 2002, un Rapport sur l’Enseignement du fait religieux dans l’école laïque.
(6) Jean-Marie Duthilleul « Le rôle de l’architecte », communication prononcée à l’occasion du colloque Intelligence de l’art et culture religieuse aujourd’hui, organisé à l’Ecole du Louvre les 15 et 16 avril 2020.