Une vie cachée de Terrence Malik (2019)

Published : 1 April 2020

Une vie cachée nous transporte d’émotion. D’abord le sujet est fort, ancré dans l’Histoire, inspiré de la vie d’un objecteur de conscience. Ensuite, le cinéaste s’approprie un nouveau territoire, au vert tendre, aux vergers fleuris en pente douce, à l’amphithéâtre montagneux, situé dans le Tyrol autrichien.

C’est là, dans un petit village, au début de la Seconde Guerre mondiale, que vit Franz Jägger-stätter, un paysan marié, père de trois filles. Une famille idyllique, vivant en harmonie avec la nature, travaillant aux champs, fauchant les blés. La caméra, en apesanteur, ondule, caresse l’herbe, effleure enfants et parents. On a déjà vu cette esthétique panthéiste chez Terrence Malick, mais dans une autre époque et un autre décor, celui des grands espaces américains. Ici, l’Autriche est sublimée par ces images de bonheur pastoral, détachées, flottantes, comme des baumes, qui contrebalancent le mal nazi tout proche. Après avoir fait ses classes en 1940, Franz Jäggerstätter revient dans son village, où il commence à exprimer son rejet de Hitler et de cette guerre, où « l’on s’attaque aux faibles ». Minoritaire, il est de plus en plus ostracisé par les habitants du coin. Croyant, fervent catholique, il cherche une aide, un appui auprès du prêtre qui, désemparé par le cas de ce fidèle, choisit de l’orienter vers un évêque. Lequel se contente de lui dire : « Tu as un devoir envers la patrie ».

Rien n’y fait. Franz Jäggerstätter refusera de jurer fidélité au Führer. Une décision insensée, dressée en montagne infranchissable contre laquelle tous ou presque viennent buter. N’est-ce pas un suicide ? À qui profite cette désobéissance, puisqu’elle ne sauve personne, en faisant du mal aux proches ? Quelle valeur a-t-elle, si elle est sans effet politique ? Ne masque-t-elle pas un orgueil surdimensionné ? Toutes ces interrogations lancinantes, posées à plusieurs reprises au cours du film, le Vatican y a répondu à sa manière, en 2007, par la voix de Benoît XVI, en béatifiant Franz et en le considérant comme un martyr. Terrence Malick, lui, en tire moins des réponses catégoriques qu’une méditation sur le bien et le mal, et des confidences épistolaires modulées en voix off, comme des récitatifs. Le fond est cruel — le cinéaste n’élude pas la violence, les coups endurés en prison par le réfractaire. Mais la forme est celle d’une psalmodie douce, éminemment musicale (soutenue par Bach, Haendel, Dvorák…). Où l’infiniment grand, le ciel, ce qui nous dépasse, se conjugue avec la vie à portée de main. Laquelle surgit au détour de plans sensoriels : les jeux d’enfants, la fenaison, l’ouvrage, le visage et les gestes de Fani, la femme de Franz.

Ce n’est pas elle qui se sacrifie mais elle compte malgré tout. Voilà l’un des ressorts poignants de cet hymne : l’accord tacite qui lie ce couple, dont l’amour vécu, partagé, est en quelque sorte décuplé par l’un et l’autre. La tendresse évidente et la pureté simple qui émanent d’Au-gust Diehl et de Valerie Pachner concourent au souffle lumineux de l’ensemble. Car c’est bien vers la lumière et une forme d’élévation spirituelle, non de désespoir, que tend le film pourtant funeste, éloge d’un engagement extrême. Celui d’un résistant solitaire ayant défendu jusqu’au bout sa conscience morale et sa liberté, sans bruit, sans cris, sans même chercher à être un jour entendu. Mais aujourd’hui le film fait de cet inconnu un symbole d’héroïsme absolu.

Sr Hélène Feisthammel