Catherine de Sienne : une vision anthropologique pour notre époque #4

Et nous voici à la quatrième et dernière étape de ce voyage à la découverte de la pensée anthropologique de Sainte Catherine de Sienne, proposé par Sr Elena Ascoli, de la communauté « Madonna del Sorriso », Ganghereto (Italie).
Une belle façon de nous préparer à la fête liturgique de notre Docteur de l’Église.

QUATRIEME PARTIE

Si Catherine devait écrire une lettre aujourd’hui, que nous dirait-elle ? Que pourrait-elle dire qui soit suffisamment important pour être entendu avec intérêt ? Serait-elle suivie comme elle l’était lorsqu’elle enseignait ?

Aujourd’hui, alors que nous sommes plus que jamais orphelins de guides forts, chercheurs de réponses immédiates et surtout affamés d’harmonie… serions-nous capables d’écouter le message de Catherine et d’accepter son enseignement ?

L’une des caractéristiques les plus évidentes du grand épistolaire de Sainte Catherine de Sienne est le pouvoir de la communication. Catherine a une manière très personnelle et très incisive de de s’adresser à son interlocuteur. Toutes ses lettres commencent ainsi :
« Au nom de Jésus Crucifié et de la douce Marie.
Moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir…
 »

Je vous donne un exemple à travers cette lettre que Catherine a adressée à Monna Lapa, sa maman.

Lettre 212 (166)
« Au nom de Jésus crucifié et de la douce Marie.
Ma très chère Mère dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la vraie servante de Jésus crucifié, affermie dans la vraie patience ; car sans la patience, nous ne pouvons plaire à Dieu. Dans la patience nous montrons le désir de l’honneur de Dieu et du salut des âmes ; cette vertu fait voir aussi que l’âme est revêtue de la douce volonté de Dieu, car elle se réjouit de tout, elle est contente de tout ce qui lui arrive. Aussi la créature qui est revêtue de ce doux vêtement, possède toujours la paix et se plaît à souffrir pour la gloire et la louange du nom de Dieu. […] Dépouillez-vous de l’amour-propre sensitif, parce que c’est le moment de travailler à l’honneur de Dieu et au service du prochain. En vous dépouillant de l’amour-propre, vous marcherez avec joie et sans peine. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour
. »

En chaque lettre qu’elle compose, Catherine dit écrire « dans le sang du Christ. » Pour elle, le sang du Christ est réchauffé par l’Amour, car l’Esprit Saint qui est Amour vivifie le sang de l’Homme-Dieu qui est mort pour nous. Ce qui est intéressant, c’est le fait que Catherine commence ainsi pour tout le monde : croyants ou non, amis et hommes de haut rang, pécheurs ‘publics’ et religieux contemplatifs. Pour Catherine, l’homme ne trouve l’homme qu’en Christ ; il trouve le rêve du Créateur.

Quel que soit son interlocuteur, Catherine lui écrit « avec le désir de… ». Cette caractéristique la fera connaître dans l’histoire comme « la sainte du désir ». Et, en fait, si on y réfléchit, le désir est vraiment une dimension fondamentale de la personne en tant que telle. Mais il faut bien discerner ce qu’il faut désirer et Catherine connaît un de ses désirs fondamentaux : c’est l’indication de comment répondre au rêve d’amour du Père.

Voici un exemple :

Lettre 118 (72), à l’abbé général de l’ordre du mont-olivet, près de Sienne
« Mon très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir dans la charité parfaite. Cette charité ne cherche pas ses intérêts ; elle est libre et n’est pas l’esclave de la sensualité ; elle est généreuse, et dilate le cœur dans l’amour de Dieu et l’affection du prochain. Aussi elle sait porter et supporter les défauts des créatures par amour pour le Créateur. Elle est compatissante et non cruelle, parce qu’elle a retranché ce qui rend l’homme cruel, c’est-à-dire l’amour-propre, et elle reçoit toujours charitablement avec tendresse le prochain pour Dieu. Elle est bienveillante, pacifique et sans colère. Elle cherche les choses justes et saintes, et non les choses injustes ; et comme elle les cherche, elle les accomplit en elle. Aussi la perle de la justice brille dans son cœur. Si la charité loue quelqu’un, ce n’est pas pour le tromper ; si elle le réprimande, ce n’est pas par haine ou par colère. Mais elle aime les uns et les autres comme des fils, qu’ils méritent l’éloge ou le blâme. C’est une mère, qui fait naître les vertus dans l’âme, et les met au jour, pour l’honneur de Dieu, dans ses rapports avec le prochain.
Sa nourrice est l’humilité profonde. Et quelle nourriture lui donne sa nourrice ? La nourriture de la lumière et de la connaissance de soi-même. Cette lumière fait connaître à l’âme sa misère, et les faiblesses de la sensualité qui la cause. Avec cette connaissance, elle s’humilie et conçoit contre elle-même une haine qui nourrit en elle le feu de la divine charité, en voyant l’ineffable bonté de Dieu, qui est le principe et la fin de toute connaissance. Après cette lumière et cette connaissance, elle se plaît à prendre la nourriture que Dieu aime davantage, celle de la créature qu’il a créée à son image et ressemblance, et qu’il aime tant, qu’il a livré à la mort son Fils unique pour qu’il apaisât sa colère, et qu’il terminât la longue guerre où elle était par la faute d’Adam, pour qu’il lavât dans son très doux sang la face de l’âme, que le péché avait couverte de souillure. Il a été notre paix et notre médiateur auprès de Dieu, en recevant lui-même les coups de sa justice. Il a été notre médecin, puisqu’il est venu guérir le genre humain de ses infirmités, comme l’a dit le glorieux apôtre saint Paul. Il est notre soutien, puisqu’il s’est donné à nous en nourriture. Ce doux Verbe, pour accomplir les ordres et la volonté de son Père sur la créature, a couru tout transporté d’amour vers la table de la très sainte Croix, et il y a pris la nourriture des âmes, en supportant les peines, les opprobres, les affronts, et enfin la mort honteuse, à laquelle il a livré son corps, tout inondé de sang. Il a tout fait pour manifester l’amour que Dieu a pour l’homme
. »

Quand Catherine écrit, c’est comme si elle écoutait les questions des personnes à qui elle écrit ; c’est un aspect important de la « pédagogie catherinienne ». Voici deux exemples.

Le premier exemple est tiré d’une courte lettre envoyée à Neri de Landoccio, l’un de ses enfants spirituels bien-aimés de la “Belle Brigade”, c’est-à-dire le groupe des jeunes disciples qui s’était formé autour Catherine. Neri est dans une situation de profonde crise intérieure. La réponse qu’il reçoit de Catherine décrit vraiment la capacité de la Sainte à lire la personne en profondeur :
«  […] Je veux donc que le trouble de ton âme soit détruit et disparaisse dans l’espérance du Sang et dans le feu de l’ineffable charité de Dieu, et qu’il reste seulement la vraie connaissance de toi-même. Cette connaissance, en t’humiliant, augmentera et nourrira la lumière. Dieu n’est-il pas plus disposé à pardonner que nous à pécher ? N’est-il pas notre médecin et nous ses malades ? N’a-t-il pas porté nos iniquités ? Et le trouble de l’âme n’est-il pas le pire des défauts ? Si, assurément, très cher Fils. Ouvre donc l’œil de l’intelligence à la lumière de la très sainte Foi, et regarde combien tu es aimé de Dieu ; et en regardant son amour, l’ignorance et la froideur de ton cœur, ne te trouble pas, mais que cette connaissance augmente le feu du saint désir et ton humilité, comme je te l’ai dit. » ( Lettre 282 (274), à Neri de Landoccio )

Le deuxième exemple explique quelque chose sur notre âme :
« O très chère Fille, ne vois-tu pas que notre âme est un arbre d’amour ? Car nous sommes faits par amour ! Cet arbre est si bien fait, que personne ne peut l’empêcher de croître et lui enlever ses fruits, s’il ne veut pas. Et Dieu a donné à cet arbre un ouvrier qui le cultive pour lui plaire ; cet ouvrier est le libre arbitre. Si l’âme n’avait pas cet ouvrier, elle ne serait pas libre ; et n’étant pas libre, elle aurait une excuse à son péché ; mais elle ne peut en avoir, parce que personne, ni le monde, ni le démon, ni la chair fragile ne peut la forcer à la moindre faute, si elle ne veut pas, car cet arbre a pour lui la raison dont le libre arbitre peut se servir ; il a l’œil de l’intelligence, qui connaît et voit la vérité, quand le nuage de l’amour-propre ne l’obscurcit pas. Avec cette lumière, l’ouvrier voit où doit être planté l’arbre : car, s’il ne le voyait pas, et s’il n’avait pas cette douce faculté de l’intelligence, l’ouvrier aurait une excuse, et pourrait dire : J’étais libre, mais je ne voyais pas où je devais planter mon arbre, si c’était en haut ou en bas, Mais il ne peut le dire, parce qu’il a l’intelligence qui voit et la raison qui est un lien de l’amour légitime, qui peut se lier et se greffer sur l’Arbre de vie, sur le Christ, le doux Jésus. il doit donc planter son arbre où l’œil de l’intelligence a vu le lieu et la terre la plus favorable pour lui faire produire des fruits de vie. Très chère Fille, si l’ouvrier, le libre arbitre, plante l’arbre où il doit être planté, c’est-à-dire dans la terre de la véritable humilité, non pas sur la montagne de l’orgueil, mais dans la vallée de l’humilité, il produit alors les fleurs embaumées des vertus ; et surtout il produira cette belle fleur de la gloire et de la louange du nom de Dieu, et toutes ses œuvres, qui sont de douces fleurs, de doux fruits, en recevront le parfum. » ( Lettre 330, à la comtesse Bandecca Salimbeni )

Une grande question demeure cependant : d’où vient cette connaissance profonde du cœur humain ? Quel est le chemin que Catherine a parcouru ? Elle nous l’explique elle-même dans le Prélude du Dialogue ou De la Providence Divine. Un livre qu’elle a dicté autour des deux dernières années de sa vie. Comme le dit le titre lui-même : c’est un dialogue entre le Père Eternel et Catherine.

« En s’élevant au-dessus d’elle-même, une âme tourmentée d’un très grand désir de l’honneur de Dieu et du salut des âmes, en arrive à s’exercer pendant quelque temps dans la pratique des vertus ordinaires et s’enferme dans la cellule de la connaissance d’elle-même, pour mieux connaître la bonté de Dieu envers elle. Car l’amour suit la connaissance et, en aimant, l’âme cherche à suivre la vérité et à se revêtir de la vérité. Rien ne fait mieux goûter à la créature cette vérité, rien ne lui procure tant de lumière que l’oraison humble, continue, fondée sur la connaissance de soi-même et de Dieu. L’oraison ainsi comprise et pratiquée unit l’âme à Dieu. En suivant les traces du Christ crucifié, par désir, par affection, par union d’amour, elle devient un autre lui-même. » ( Dialogue, Prélude )

La connaissance, ce précieux pilier de l’anthropologie catherinienne, ne peut être obtenue qu’en descendant dans les profondeurs de notre cœur : faites de votre cœur une cellule et de votre cellule un ciel. C’est cette intériorité qui, aujourd’hui encore, nous pousse à rechercher des techniques qui, au moment de l’épreuve, nous déçoivent. Ce conseil est issu de l’expérience personnelle de Catherine. L’expérience d’une double rencontre : avec le doux Verbe incarné, pour qui tout existe, et avec elle-même.

Les premières années de sa vie dominicaine, elle les a vécues dans la chambre isolée que le père Jacopo lui avait accordée. Ce furent des années de charité généreuse et discrète envers les pauvres et de prière intense ; riches en grandes expériences mystiques, accompagnées de luttes indicibles avec le diable qui l’appellera un jour “son pire ennemi”. Ayant épuisé toutes ses forces spirituelles et physiques, Catherine s’est exclamée : « Seigneur, qui suis-je et qui es-tu ? » La réponse est limpide : « Ma fille, tu es celle qui n’est pas et moi, je suis Celui qui suis. Si tu apprends ces deux choses, tu seras bienheureuse » ( Raymond de Capoue, Legenda maior ).

La référence biblique n’est pas difficile à comprendre : Exode 3,14. Plus difficile est la raison de cette béatitude. Catherine a compris cela : elle l’a aimé, elle l’a considéré comme essentiel pour elle-même et pour tous ceux qu’elle rencontrerait. C’est quand j’arrive à découvrir que l’être m’est éternellement donné par Celui qui est, Lui qui est l’Amour, qu’alors je vis vraiment comme un arbre d’amour fait pour l’amour.

Nous avons parcouru quelques pages qui résument les grandes lignes de l’enseignement sur l’homme donné par notre Docteur de l’Église. Cette Église aimée jusqu’à l’offrande totale de sa vie : « Ne dites pas que je suis morte de maladie mais d’amour pour l’Église ! »

Demeurons dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour !


Merci à Sr Elena de nous avoir donné le texte de cette belle conférence.