Mon expérience de la rencontre avec le Pape avec les Supérieures générales (12/05/16)
Le jeudi 12 mai, nous avons eu une audience programmée par la UISG (Union Internationale des Supérieures Générales) dans le cadre de l’Assemblée générale qui a lieu tous les trois ans.
Je suis sortie vraiment impactée par la profondeur de cette personne, le pape François, et dans l’admiration aussi, à le voir là pour nous, pour toute l’Eglise, avec cette simplicité qui le caractérise.
J’ai été impressionnée de le voir ainsi devant nous, nous écoutant avec une ouverture considérable et avec attention, assis tranquillement pendant une heure et demie, devant une présence massive de personnes enthousiasmées de pouvoir être reçues par lui en audience. Jusqu’à de l’affection était perceptible dans son accueil de nos questions et dans son désir de répondre.
Sa rencontre avec nous a eu un ton différent des précédentes auxquelles j’avais participé et où il nous avait parlé. Le ton sur lequel il nous a parlé était émouvant par sa proximité. A tout moment il s’est situé comme quelqu’un de disposé à apprendre, à accueillir, à prendre en compte ce qui venait de nous. Son attitude m’a interpelée pour sa saveur typique d’évangile.
L’audience a été centrée sur les questions que les différentes constellations de la UISG avaient préparées et envoyées trois mois à l’avance. Il n’y a pas eu d’autre intervention que celle du dialogue avec nous à partir de nos propres questions, qu’il a désiré entendre lire en public. Ces questions avaient rapport à la place de la femme dans l’Eglise, son rôle, ses possibilités, ses relations avec la hiérarchie aux différents niveaux (curés, évêques…), son positionnement comme vie religieuse, les lieux de pauvreté où les sœurs sont présentes.
Bien que les questions aient été diverses, et que le dialogue ait passé d’un aspect à l’autre, j’ai trouvé dans les réponses du pape un fil conducteur, un message central concernant l’essentiel de notre vocation dans le contexte de notre monde actuel, et notre place dans l’Eglise. J’ai entendu son appel à ce que nous soyons des médiatrices de communion en tant que femmes, son appel à vivre le discernement dans la prière avant la prise de décisions et leur mise en œuvre. J’ai relevé l’importance de vivre la pauvreté selon le charisme. “L’argent n’est jamais une solution pour les affaires spirituelles.” “La décadence commence quand la pauvreté fait défaut.”
Le pape nous a redit que sans les femmes il n’y aurait pas d’Eglise. Que lui manquerait-il ? : Marie et l’Esprit Saint, la Pentecôte. Nous sommes l’icône de Marie, celle qui a toujours été là ; et nos possibilités sont grandes pour tout ce que signifie le fait de prendre soin, qualités de la maternité. La perception de la femme est différente de celle de l’homme. Sans la perception des femmes, les décisions dans l’Eglise ne seraient pas adéquates.
Quelle place occupons-nous à la Congrégation des religieux ? Il paraît normal au pape, et un droit pour nous, de participer dans ce contexte où sont prises des décisions sur la vie religieuse apostolique féminine. Il s’informera sur les procédures actuelles et interviendra pour que les femmes consacrées y aient leur place. Il dit que la présence de la femme consacrée dans les décisions qui la concernent est un droit et non une concession.
Un autre point central de son message est l’appel au discernement. Pour la prise de décisions entre nous et dans l’Eglise, le pape nous rappelle le texte des Actes des Apôtres où il est dit “L’Esprit saint et nous-mêmes avons décidé” (Ac 15,28). Le pape nous rappelle et partage avec nous que les décisions doivent être prises avec beaucoup de prière pour qu’il y ait un vrai discernement. L’aide et le dialogue avec des personnes compétentes pour discerner sont également nécessaires.
Il lui a été exposé que d’être près des derniers, engagées dans le social, fait qu’on dise parfois aux sœurs qu’il vaudrait mieux pour elles plus de mystique et moins de communisme. Y compris avec des dénonciations envers des sœurs qui ont pris parti pour les pauvres. Le pape nous dit que l’important est d’aller de l’avant, suivant notre vocation d’être avec les pauvres, de vivre l’évangile, même si cela nous conduit à la dernière béatitude, celle de la persécution. Il nous faut être disposées à passer par là, sans faire marche arrière.
Le pape partage avec nous ses propres questions, recherches et intuitions. La parole "leadership" (*) ne lui plait pas car il craint que s’infiltre en elle une vision mondaine ou séculière et il insiste sur le fait que notre manière d’exercer l’autorité est celle du service. Il a même utilisé le terme de pasteur qui prend soin de ses brebis. Il s’est situé comme celui qui partage cette tâche avec nous…
Il nous conduit à des aspects concrets du service dans la vie religieuse et dit qu’il y a deux dangers : le féminisme et la servilité. Le service n’est pas servilité. Nous devons être claires là dessus et ne pas nous laisser entraîner. Il nous alerte contre le cléricalisme si étendu dans l’Eglise. Nous ne devons pas passer par là. Il nous exhorte à écouter beaucoup les sœurs aînées, elles sont les piliers qui ont construit les congrégations avec leurs vies ; elles peuvent dire des paroles de sagesse et il est bon de les écouter beaucoup. De même, il a parlé de la pauvreté comme d’un pilier indispensable et a été jusqu’à dire que le diable se faufile par la bourse et que lorsqu’il y a un échec dans d’autres domaines, comme cela peut arriver au niveau de la vocation, il peut y avoir une tendance à amasser de l’argent pour une plus grande sécurité, en justifiant cette posture par les nécessités économiques qui se présentent avec le vieillissement. Il en appelle à une vie sobre, sainement sobre, non à une vie misérable et demande que si une congrégation se trouve dans la nécessité, elle s’adresse à son évêque.
Finalement, en faisant allusion à l’une ou l’autre phrase qui parlaient des travaux que suppose vivre la mission et la responsabilité, avec un ton proche de l’humour, le pape demande aux prieures générales de vivre aussi des temps de repos pour éviter de contracter des maladies psychosomatiques… ce qui serait pire.
Sa rencontre avec nous me laisse une empreinte de profondeur évangélique et de proximité fraternelle qu’il m’est difficile d’exprimer mais dont je suis très reconnaissante.
Sr Carmen Lanao
Le texte original italien a été publié dans l’Osservatore Romano du 14 mai 2016.
Traduction en français sur le site www.viereligieuse.fr
(*) : Le leadership est la capacité d’une personne à influencer et à fédérer un groupe, pour atteindre un but commun, dans une relation de confiance mutuelle, et pour une durée limitée.