Pingouin et Goéland et leurs 500 petits de Michel Leclerc (novembre 2021)

Published : 14 December 2021

Chronique cinéma de soeur Hélène Feisthammel

Le couple Hagnauer abrita cinq cents enfants menacés par le régime de Vichy. Mêlant archives et témoignages, un tendre documentaire sur la résilience.

A la Maison d’enfants de Sèvres, Yvonne et Roger Hagnauer (qui avaient comme noms de totem Goéland et Pingouin) pendant la Seconde Guerre mondiale, en 1941, ont hébergé des enfants de la région parisienne victimes des restrictions alimentaires. Cette maison évolua très vite en refuge, abritant sous l’Occupation de nombreux enfants juifs, des orphelins et des victimes de guerre de toutes nationalités, ainsi que des adultes en situation irrégulière (étrangers, juifs, résistants, réfractaires au S.T.O.). Après-guerre, Yvonne et Roger Hagnauer, instituteurs laïques, humanistes et pacifistes venus du communisme, pratiquèrent des méthodes pédagogiques originales dans l’esprit de l’École nouvelle.

De son long métrage de fiction de 2010, Le Nom des gens, on se rappelle avec émotion la mère du héros, mutique dès qu’il s’agissait de se remémorer son enfance de petite orpheline aux parents déportés. Un personnage largement inspiré de la propre maman de Michel Leclerc. Dix ans plus tard, le réalisateur s’autorise à raconter, pudiquement, comment elle survécut, en décidant de retracer l’histoire folle d’Yvonne et Roger Hagnauer qui recueillirent cinq cents enfants, juifs et non juifs, pendant la Seconde Guerre mondiale, dans une grande maison, à Sèvres, près de Paris.

Donc, il était une fois deux fervents pacifistes tendance trotskyste qui usèrent d’un établissement pétainiste pour héberger, sous le nez de Vichy, tout ce que le régime de la collaboration menaçait ou traquait : enfants ayant échappé à la déportation, orphelins de guerre et adultes étrangers, Juifs, ou réfractaires au S.T.O. qui, eux, formaient le corps enseignant de cette école à la pédagogie moderne. Pingouin et Goéland furent et restèrent les totems de ce combat.

En rendant grâce à un tel engagement, contre le mauvais vent de l’Histoire, ce documentaire passionnant dessine le paysage complexe de la politique française d’avant-guerre - communisme, anarchisme… —, puis de l’Occupation, mais aussi de l’épuration, dans toutes ses zones d’ombre, et de possible lumière. Entre témoignages émus ou pimpants des ex-pensionnaires de la Maison de Sèvres, devenues de vieilles dames, parfois délicieusement indignes, images d’archives, et surtout magnifiques super 8 ou photos de la vie collective et festive de ce lieu à l’abri des douleurs, le film s’impose comme un beau kaléidoscope sur la résilience.

Enquêtant sur ses propres racines, Michel Leclerc découvre l’importance d’un certain Marcel Mangel, futur mime Marceau, mais s’interroge, aussi, face caméra, sur le poids de la transmission et de l’identité. Ou comment réussir une œuvre d’une tendresse bouleversante sur la force du souvenir, et le droit à l’oubli. Au silence.