Cinéma : « Yomeddine » (2018) par Abu Bakr Shawky

Publié le : 2 janvier 2019

Sortie en salles / 21 novembre 2018

C’est évidemment avec beaucoup de curiosité qu’on accueille un film d’auteur égyptien en compétition à Cannes. La denrée, tout amateur le sait, se fait rare. Youssef Chahine est mort. Yousry Nasrallah nous enchante mais se signale de loin en loin : « Le ruisseau, le pré vert et les jours » (2016). Tamer El Saïd, cinéaste-poète récemment découvert avec « Les derniers jours d’une ville » (2017), a mis dix ans à faire son film.

« Yomeddine » ? Beshay, un petit homme défiguré écumant les décharges publiques, décide de quitter la léproserie où il fut abandonné enfant, pour retrouver sa famille dans le sud de l’Egypte. Aux rênes d’une charrette tirée par un âne, il croise un orphelin nubien, surnommé « Obama », qu’il embarque avec lui. Cet équipage insolite rencontre sur sa route des figures hétéroclites et enchaîne une série de péripéties qui composent un voyage initiatique vers l’acceptation de soi.

Ce premier long métrage d’Abu Bakr Shawky se fonde sur un geste fort : confier les rênes du récit à un acteur non professionnel, Rady Gamal, qui porte sur lui les stigmates de la lèpre. Mais aussi, dans des rôles secondaires, un vrai cul-jatte et un nain. « Je suis un être humain » voit-on crier Rady Gamal dans l’une des scènes les plus bouleversantes de « Yomeddine ». Une réplique qui rappelle ostensiblement « Elephant Man », de David Lynch, grand film sur la monstruosité face auquel son épigone égyptien fait toutefois pâle figure.

Tout est fait pour transformer cette odyssée en pur divertissement familial : personnages sym-pathiques, images lumineuses et musique agréable. Quelques dialogues vont même injecter une part de religieux dans cette quête d’identité. Pourtant la motivation presque obsessionnelle de Beshay et d’Obama qui est de retrouver leur famille, puis la façon dont on découvre ce groupe d’handicapés sans-abri vivant entre eux, laissent deviner que le réalisateur va, consciemment ou non, vers un discours prônant le repli sur soi.

« Yomeddine » convoque et célèbre la condition des parias en Egypte. Film qui se résout de la plus discutable des manières, par le retour de chacun au sein de sa communauté, puisque nos deux héros sont voués à retourner dans leur ordre inaugural, celui où les marginaux et les gens « normaux » vivent chacun de leur côté. Abu Bakr Shawky signe un film au schéma classique, enthousiasmant et surtout moralement irrépréhensible, même si on en connaît déjà tous les contours jusqu’à la fin.

A voir ? Pourquoi pas ?

Sœur Hélène Feisthammel