Suède : Des nouvelles de soeur Véronica

Publié le : 25 janvier 2015

Chers Amis,
Vous tous qui vous intéressez à ce que je vis en Suède, un grand merci pour votre fidèle amitié et pour vos cartes, lettres, mails, tous signes d’amitié qui me sont précieux. Je vous souhaite une bonne année dans la lumière du Seigneur ! J’ai vécu maintenant presque plus d’années en Suède qu’en France et j’aime ce pays, mais mes racines sont ailleurs et j’aime vous retrouver à occasion de mes passages en France, c’est important pour moi.

Je voudrais cette année évoquer avec vous la vie de notre communauté ici à Rättvik, dans la forêt suédoise à 300 km au nord de Stockholm.
Nous fêtions il y a deux ans les cinquante ans de notre fondation et cela nous a donné l’occasion d’un regard rétrospectif sur notre histoire et d’une action de grâce. St Davidsgården – du nom de David, moine anglais qui évangélisa la région au onzième siècle – a été construit à l’initiative d’un petit nombre de prêtres et d’un évêque de l’Église Suédoise comme lieu de retraites spirituelles. C’était à l’époque une initiative osée. Réunir des personnes pour un temps de prière, de méditation et de silence, cela posait certains problèmes théologiques et psychologiques. Faire une retraite, c’était « faire quelque chose pour son salut » alors que nous sommes sauvés gratuitement, par la foi seule ! D’autre part le silence imposé n’allait-il pas avoir une action néfaste sur le système nerveux des retraitants ? Ne décelait-on pas aussi derrière cette entreprise une influence catholique, autrement dit dangereuse ?
Nils Hugo Ahlstedt, qui avait une forte personnalité, a été le fondateur tenace et infatigable de St David, à côté de lui, Per Mases, a donné l’élan spirituel. L’évêque luthérien de Västerås, Sven Silén, qui avait participé comme observateur au concile Vatican II, a béni la chapelle. Nous gardons précieusement l’étole dont il nous a fait cadeau à cette occasion et sur laquelle est brodé : « Ut omnes unum sint » Pour que tous soient un.

Je suis arrivée ici en septembre 1983 avec trois autres sœurs dominicaines. Nous avons vécu cinq ans, petite communauté catholique, au cœur de ce centre. Pour nous cette vie œcuménique était une aventure nouvelle et pas toujours facile. Je pense que notre présence ici a été modeste et pourtant importante. D’une part nous avions une vie de prière régulière, avec les offices, qu’il y ait des retraitants ou pas. D’autre part nous avons « démystifié » la vie communautaire. Tout le monde a pu constater que nous n’étions pas parfaites, que nous nous disputions parfois et que nous pouvions nous demander pardon et continuer à vivre ensemble. Nous avons aussi introduit l’adoration du Saint Sacrement dans notre petite chapelle (il y a ici deux chapelles, une grande : St David et la petite chapelle catholique : St Dominique. Nous prions dans les deux : Tous les matins une heure d’adoration est proposée à St Dominique et il y a toujours quelques personnes ! Puis la communauté et ceux qui le désirent prient les laudes. Les autres offices se célèbrent à Saint David. St Dominique est ouvert toute la journée et il y a souvent des visiteurs). Le départ des sœurs en 1988 a provoqué un grand vide, mais une petite semence de vie communautaire avait été semée et une communauté est née petit à petit : « La communauté de la sainte Trinité ». Nous sommes pour l’instant onze membres, dont huit habitent sur place.

Quand nous sommes arrivées ici, la liturgie nous a parue assez froide. Aux offices on restait assis du début à la fin. Pas de signe de croix, pas de génuflexion, pas d’inclinaison…Puis petit à petit certains ont commencé à faire le signe de croix - On s’est même aperçu que Luther recommandait de le faire ! - certaines parties de l’office ont été chantées. Puis certains se sont levés pour le Magnificat. Il y a eu pendant longtemps des gens assis et des gens debout et nous prenions la précaution en introduisant les offices de dire que chacun était libre de faire comme il se sentait. Maintenant nous ne disons plus rien et tout le monde se lève et s’assied quand il faut ! La liturgie est devenue moins individualiste et beaucoup plus communautaire. Il y a un an nous avons publié un livre d’heures, qui suit de près le bréviaire romain.
On a même introduit l’encens à la messe du dimanche et le chant du Salve Regina à la fin des complies. Tous ces changements se sont fait en douceur, par contagion. Cela n’a pas été le fruit d’une décision, mais la découverte progressive du langage liturgique, de l’importance des gestes. On n’est pas très loin des sacrements !

Nous avons aussi fait la connaissance des saints. Il y a quelques années, un pasteur qui a vécu ici plusieurs années, faisait une petite présentation du saint du jour au début de la célébration de l’eucharistie. Cela nous a donné envie d’en savoir plus. Nous avons découvert la grande richesse de la communion des saints et nous avons décidé de donner des noms de saints à toutes les chambres. Chacun a proposé ses saints préférés et pendant nos réunions hebdomadaires chacun a été chargé de présenter un saint. (merci monsieur Google !). Maintenant chaque hôte peut lire dans le classeur l’histoire du saint de sa chambre.

Dans la forêt autour de nos maisons il y a un sentier d’environ un kilomètre balisé par les vingt mystères du Rosaire. Cela a été une idée de Per il y a déjà bien longtemps. Dans le hall d’entrée de Saint David j’ai mis une petite corbeille avec des chapelets et un livret simple sur la façon de prier le rosaire avec le texte du « Je vous salue Marie ». Je suis étonnée de voir que les gens découvrent ce sentier et cette prière.
Dernièrement une personne pour qui Jésus semblait être une figure lointaine, m’a dit : Mais il y a ‘Mère Marie’. J’en ai été très surprise.

Nos hôtes sont de plus en plus des gens sans racines, loin de la tradition chrétienne. Notre vocation communautaire est de les accueillir et de les servir en voyant en chacun Celui que le Seigneur appelle ici le temps d’une retraite. Les gens nous trouvent sur internet et ne savent pas trop où ils arrivent. Nous devenons souvent pour eux un lieu fixe dans l’existence, un pôle de référence et souvent ils reviennent.

Depuis le début la communauté a été œcuménique, avec des membres de différentes dénominations protestantes d’abord, puis avec des catholiques. Nous avons été amenés petit à petit à reconnaitre que la réconciliation entre les chrétiens, l’estime mutuelle, la reconnaissance des fruits de l’Esprit dans la vie des églises sont des pas importants, mais ne suffisent pas. Nous prions tous les jours pour l’unité visible de l’Église. Et nous pensons que cela ne peut pas se faire sans la reconnaissance du ministère de Pierre.
Per Mases a été accueilli deux mois avant sa mort d’un cancer, le 24 décembre 2010, dans la pleine communion de l’Église Catholique. Jusque là il ne voulait pas abandonner le troupeau que le Seigneur lui avait confié, mais quand la maladie l’a déchargé de toute responsabilité il a suivit dans la paix du cœur l’appel intérieur.

Qu’en sera-t-il de nous ? Nous ne le savons pas, mais nous poursuivons un chemin de foi, demandant tous les jours à l’Esprit Saint de nous guider, d’ouvrir pour nous le chemin et de nous donner la force de le suivre. Nous avons commencé à étudier le catéchisme de l’Eglise Catholique et nous découvrons avec émerveillement le mystère de l’Eglise, « Une, Sainte, Catholique et Apostolique », de quoi étonner plus d’un catho qui trouve insupportable le poids de cette église et qui voudrait bien s’en libérer ! Nous prions pour tous ceux qui découvrent la foi ici, tous ceux que le Seigneur confie à notre garde.

Voilà quelques nouvelles pour ceux qui auront eu la patience de lire cette lettre jusqu’au bout.

Je vous envoie à tous mon amitié et je vous embrasse

Sr Veronica